Alors, qu’est-ce qui cloche ? Pourquoi ces efforts ne portent-ils pas leurs fruits ? Peut-être faudrait-il aussi mieux écouter les débats et pistes évoqués dans des espaces comme le Forum francophone sur la nicotine, où professionnels et citoyens échangent autour de stratégies alternatives de réduction des risques
Le tabac reste profondément ancré dans les habitudes sociales, les mécanismes de dépendance, les routines quotidiennes. Il agit bien au-delà de la simple envie : il répond à des stress, des angoisses, des gestes réflexes. Et cela, aucune photo choc ne peut l’effacer.
En France, le coût économique du tabagisme atteint 120 milliards d’euros chaque année. Une somme astronomique, engloutie dans les soins, les arrêts maladie, la perte de productivité… Autant dire que cette addiction ne pèse pas seulement sur les poumons, mais aussi sur les comptes publics.
Chaque année, le tabac tue plus de 75 000 personnes en France, soit plus que les accidents de la route, l’alcool et les drogues réunis. Et pourtant, la stratégie actuelle repose essentiellement sur l’interdiction, la répression et une forme de stigmatisation. À force de pointer du doigt les fumeurs, on finit par les marginaliser sans vraiment les aider.
Même les professionnels de santé le reconnaissent : ce modèle ne fonctionne plus. La communauté médicale appelle à sortir d’une vision punitive pour explorer des approches plus pragmatiques, plus humaines, plus efficaces. Les sachets de nicotine illustrent cette nouvelle voie : réduire les risques par la régulation plutôt que par l’interdiction.
Le Forum Francophone sur la Nicotine : changer de perspective
Et c’est dans ce contexte que, le 3 juin 2025, Paris a été le théâtre d’un petit événement à la portée symbolique forte : le premier Forum francophone sur la nicotine, porté par Norbert Neuvy. Là, médecins, chercheurs, ex-fumeurs, responsables politiques, mais aussi simples citoyens se sont retrouvés pour parler de ce sujet trop souvent caricaturé : la nicotine.
Un mot qui fait peur, mais qu’il est urgent de reconsidérer avec nuance et rigueur scientifique. Des voix venues de France, du Québec, du Maroc, de Suède ont partagé leurs expériences, leurs réflexions, leurs doutes parfois, mais surtout leurs résultats. Et ce qui frappe, c’est que partout où la réduction des risques a été mise en place, les chiffres s’améliorent : moins de fumeurs, moins de maladies, moins de morts : un constat qu’on ne peut plus ignorer.
Mais surtout, une idée forte a émergé, presque comme un fil rouge : lutter contre le tabac, ce n’est pas nécessairement lutter contre la nicotine. Cette dissociation, encore taboue en France, commence à faire son chemin ailleurs. Elle invite à repenser une partie entière de notre politique de santé publique, et surtout à redonner du pouvoir aux individus, en proposant des solutions plus réalistes que le tout ou rien.
Ce que disent les médecins : dissocier nicotine et tabac pour mieux soigner
Oui, la nicotine est addictive. Mais non, ce n’est pas elle qui tue. Comme le rappelle Philippe Couillard : « Ce n’est pas la nicotine qui est à l’origine du cancer. » Une phrase simple, mais à contre-courant de ce que beaucoup croient encore. Et pourtant, combien associent encore réflexe de fumer et danger létal immédiat, sans jamais distinguer le produit de la combustion de la molécule elle-même ?
Olivier Véran, de son côté, lâche cette vérité désarmante : « Mon addiction à la nicotine, peut-être que je pourrai vivre avec, mais je n’en mourrai pas. » Une déclaration qui, mine de rien, remet en cause des années d’amalgame entre tabac et nicotine. Un propos qui invite à sortir des logiques binaires pour envisager une palette plus nuancée de réponses. Les chiffres sont clairs.
Le Dr Elie Aboud le martèle : « L’arrêt du tabac réduit de 50 % le risque d’infarctus en un an. » Et pourtant, la France continue de traiter le sujet comme une question morale, presque affective. Dr Imane Kendili dénonce ouvertement : « La France souffre d’une gestion émotionnelle du sujet, au détriment de l’efficacité médicale. » Une posture qui freine les innovations, retarde les prises en charge et finit par décourager ceux qui veulent vraiment s’en sortir.
Il est temps, disent les professionnels, de ne plus diaboliser la nicotine, mais de l’intégrer intelligemment à une véritable politique de santé publique.
Une vision médicale contre une culture politique figée
Et là est tout le nœud du problème. En France, les substituts nicotiniques sont tolérés, mais peu encouragés. Le cas des sachets de nicotine est représentatif : pourtant très populaires et efficaces ailleurs, le gouvernement français souhaite les interdire.
Prenons la Suède ou le Royaume-Uni. Là-bas, ces produits sont intégrés à une stratégie nationale de réduction des risques. Et les résultats parlent d’eux-mêmes : des taux de tabagisme qui fondent comme neige au soleil. Philippe Couillard plaide donc pour une approche plus souple : une libéralisation régulée, appuyée par le secteur privé, pour accompagner les fumeurs vers des alternatives moins dangereuses.
Mais en France, rien n’y fait. Le gouvernement reste enfermé dans un modèle ancien, hérité d’une époque où l’on pensait que nicotine et tabac ne faisaient qu’un. Cette confusion pèse lourdement sur les politiques publiques. Elle empêche l’innovation, freine la recherche et bloque les débats.
Une population prête à changer, mais encore mal informée
Pourtant, les mentalités évoluent. Une étude OpinionWay menée dans cinq pays sur 10 000 personnes est venue bousculer quelques idées reçues : 87 % des utilisateurs de substituts sont d’anciens fumeurs, 61 % ont arrêté ou réduit leur consommation de tabac grâce à ces produits, et 65 % des Français souhaitent que leur usage soit encouragé.
Mais alors, pourquoi ce blocage ? Parce que 49 % des Français jugent ces produits peu efficaces, preuve qu’une désinformation persistante freine encore les avancées. Ce n’est pas le rejet des substituts qui domine, mais le flou autour de leur utilité.
Et pourtant, 32 % des adultes utilisent déjà des substituts nicotiniques. Ce n’est pas un effet de mode : c’est un mouvement de fond. La vape, les sachets, et autres alternatives gagnent du terrain. Mais à condition de mieux les expliquer, les encadrer, les faire connaître.
Les sachets de nicotine : symbole d’un débat mal posé
Interdits en France, les sachets de nicotine sont pourtant un outil majeur de réduction des risques en Suède, où le taux de tabagisme est tombé sous les 6 %. Un chiffre qui donne à réfléchir, surtout lorsqu’on constate l’ampleur des dégâts en France.
Contrairement à la cigarette, ces sachets n’impliquent ni combustion, ni goudrons, ni monoxyde de carbone : les trois principaux responsables des maladies liées au tabac. Lors du Forum, des micro-trottoirs réalisés dans les rues de Paris ont révélé des réactions éloquentes face à cette interdiction : « Autant interdire les clopes ! » ou encore « Vous supprimez ça, les gens refument. »
On touche là à une absurdité sanitaire : empêcher l’accès à une solution sans combustion alors que la cigarette reste légalement disponible dans chaque tabac du pays. Un paradoxe qui a de quoi agacer, voire révolter.
Réduction des risques : ce que montrent les exemples étrangers
Ailleurs, on avance. Au Royaume-Uni, la vape est même prescrite comme outil de sevrage. En Suède, la chute des cancers du poumon est spectaculaire depuis l’adoption massive des sachets. En Norvège et au Canada, les substituts sont encadrés et intégrés aux politiques publiques.
Partout où l’on fait la distinction entre lutte contre le tabac et guerre contre la nicotine, les chiffres s’améliorent. C’est une constante. Et la France semble à la traîne, malgré le consensus médical croissant en faveur d’une stratégie de réduction des risques.
Une alliance à construire : citoyens, médecins, décideurs
Ce qui ressort du Forum, c’est l’urgence de bâtir une coalition pour la réduction des risques. Une véritable alliance entre médecins, patients, chercheurs, élus, mais aussi citoyens concernés. Il faut éduquer, expliquer, dialoguer.
Changer les mentalités prend du temps, mais sans ce travail de fond, les résistances resteront vives, surtout dans un pays où la culture du sevrage abrupt reste très ancrée.Former les soignants, informer les patients, adapter la fiscalité pour que les produits les moins nocifs soient aussi les plus accessibles. Ce n’est pas une utopie, c’est une urgence sanitaire. Et c’est aussi un levier d’équité : permettre aux plus vulnérables d’accéder aux alternatives sans frein économique.
Plusieurs voix ont aussi souligné la nécessité de produire des données françaises, indépendantes, sur les effets réels des substituts. Car sans données, pas de politique solide. Trop souvent, les débats s’enlisent faute d’études locales, adaptées au terrain, alors même que l’expertise scientifique ne manque pas.Certains territoires locaux innovent déjà, testent des dispositifs, accompagnent les populations. Mais l’État reste frileux. Et pourtant, la France a tout pour devenir un modèle francophone en matière de santé publique. Elle en a les moyens, les talents, l’histoire. Reste à franchir le pas.
Il ne manque qu’une chose : oser.